Texte de l’allocution de Mme Colette Roy Laroche, mairesse de Lac-Mégantic, à l’ouverture de la rencontre publique d’informations sur le projet d’entente entre la Ville de Lac-Mégantic et CMQ (Chemin de fer du Centre du Maine et du Québec), le jeudi 29 mai 2014.
Nous avons eu plusieurs rencontres publiques d’informations et d’échanges depuis la tragédie de l’été dernier. Peu importe le sujet, ces rencontres sont toujours importantes.
Je sais toutefois que cette rencontre revêt une importance particulière pour plusieurs d’entre vous, et nous le comprenons tout à fait.
Avec raison, à la suite de la tragédie que nous avons vécue, le transport ferroviaire est devenu un sujet hautement sensible où s’entremêlent les émotions et la raison. C’est évidemment tout à fait normal.
À mes yeux, les émotions et la raison ne sont pas des éléments contradictoires ou opposés. Ce sont plutôt des sentiments humains, très simplement, qu’il faut s’efforcer de respecter, peu importe de quel côté on penche.
Certaines personnes ont des réactions plus émotives, d’autres ont des réactions plus rationnelles. Mais chacun de nous, dans une certaine mesure et à des degrés variables, doit faire son équilibre entre la raison et les émotions.
D’ailleurs, ne voir que l’un ou l’autre de ces sentiments, c’est faire abstraction de la complexité de l’être humain et, bien sûr, dans le cas particulier qui nous occupe, de la complexité du dossier que nous abordons ce soir.
Dans le cadre des échanges que nous aurons, je nous invite donc à respecter autant les positions qui font davantage appel aux émotions de toutes natures, que les positions qui font davantage appel à la raison.
Ce n’est ni noir ni blanc. On doit mettre plusieurs nuances de gris dans ce débat.
Sur certains points, comme la question de la sécurité, il peut même s’agir en même temps d’une réaction émotive, et raisonnée. L’un n’exclut pas l’autre.
Alors, nous le voyons bien, tout cela est complexe, comme plusieurs sujets que nous devons aborder depuis la tragédie. Dans ce dossier comme dans d’autres, il faut prendre garde de vouloir trop simplifier.
À l’avance, je désire vous remercier de faire le débat dans le plus grand respect des individus.
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Je veux vous présenter ce soir la position de la Ville de Lac-Mégantic dans le dossier du transport ferroviaire. J’y reviens dans un instant.
Auparavant, il est important de partager les raisons principales qui nous poussent à vouloir conclure une entente avec CMQ.
Vous le savez déjà, CMQ a acquis les activités américaines de MMA il y a une dizaine de jours et elle s’apprête à acquérir les activités canadiennes de MMA.
Il faut savoir que l’encadrement réglementaire des activités ferroviaires relève principalement de la juridiction du gouvernement fédéral, et que les pouvoirs de la Ville de Lac-Mégantic, comme de tout autres villes d’ailleurs, sont très limités.
La reprise complète du service ferroviaire ne dépend pas de la Ville et nous n’avons pas le pouvoir de la provoquer, ou de l’empêcher.
Il revient d’abord au transporteur de déterminer quel niveau de service il veut offrir selon ses objectifs d’affaires bien sûr, mais aussi, à Lac-Mégantic, en fonction des circonstances exceptionnelles que nous connaissons.
Mais le transporteur lui-même n’a pas toujours le choix. Au Canada, la réglementation fait du transport de marchandises une obligation.
Par exemple, selon la réglementation, une compagnie ferroviaire ne peut refuser de prendre en charge un convoi qui lui est confié par une autre compagnie ferroviaire, afin de transiter par son réseau.
Ce n’est donc pas une situation où une ville peut décider ce qui se passe sur les voies ferrées de son territoire.
Dans ces circonstances, une entente permet à la Ville d’établir des conditions d’exploitation qui rencontrent nos objectifs.
Il s’agit d’encadrer le transport ferroviaire du mieux que nous le pouvons, en ayant négocié avec un partenaire qui démontre un grand respect par rapport à ce que nous vivons.
L’entente nous permet aussi d’affirmer l’importance du projet de voie de contournement et d’obtenir un engagement de CMQ de participer à ce projet.
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Voilà qui m’amène à la position du conseil municipal dans le dossier du transport ferroviaire. Elle s’articule autour de quatre énoncés, qui sont aussi importants l’un que l’autre.
Le premier énoncé touche le projet de voie de contournement.
Notre position, on peut la résumer ainsi :
La Ville de Lac-Mégantic continue de réclamer énergiquement une voie de contournement ferroviaire, et elle poursuit inlassablement ces démarches en ce sens.
Nous croyons que la voie de contournement est la meilleure solution pour offrir le service ferroviaire à Lac-Mégantic et assurer la quiétude des citoyens. Ce projet, nous le défendions bien avant la tragédie de l’été dernier, et nous continuerons de le défendre aussi longtemps qu’il le faudra.
Cette semaine, nous avons franchi un premier pas important vers la réalisation de la voie de contournement.
Les gouvernements fédéral et provincial, la compagnie CMQ et la Ville de Lac-Mégantic s’entendent pour réaliser une étude qui nous permettra de préciser les coûts du projet, les trajets possibles et les échéanciers, entre autres.
Cette étude est nécessaire. Elle permettra de préciser ce projet, dont le coût, d’après ce que nous entendons, varierait entre 50 et 175 millions dollars.
Entre l’un et l’autre montants, il y a une différence énorme. Avant d’obtenir le financement et toutes les autorisations, il faudra nécessairement savoir de quoi nous parlons au juste.
La Ville de Lac-Mégantic sera maitre d’œuvre de cette étude qui doit être complétée au printemps 2015. C’est un premier développement important, en fait c’est le premier pas significatif vers la réalisation de ce projet. Nous sommes heureux de ce déblocage et nous sommes très confiants dans la suite des choses.
Le projet de voie de contournement, c’est donc le premier élément qui compose la position de la Ville.
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Passons maintenant au deuxième point.
Il s’énonce ainsi :
La Ville de Lac-Mégantic réclame le maintien des activités ferroviaires sur son territoire, qui sont essentielles pour soutenir l’activité économique locale et régionale.
Dans les faits, cela signifie que nous appuyons la transaction que s’apprête à réaliser CMQ. Nous désirons aussi que l’entreprise profite des conditions qui lui permettront de poursuivre ses activités dans notre région, et d’assurer un lien ferroviaire de qualité, autant vers l’est du pays que vers l’ouest du Canada.
Au cours des derniers mois, nous avons fréquenté les dirigeants de CMQ. Nous avons été en mesure de vérifier leur bilan en matière de sécurité. Nous sommes convaincus que CMQ est un exploitant fiable, qui agit en toute bonne foi, et qu’il s’agira d’un partenaire de premier choix pour la Ville.
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Le troisième point de notre position touche la sécurité des activités ferroviaires.
Il s’énonce comme suit :
La Ville de Lac-Mégantic prend et prendra tous les moyens à sa disposition pour assurer le passage sécuritaire des trains sur son territoire.
Comme vous le savez, la Ville n’a pas juridiction en matière de transport ferroviaire.
Nous profitons toutefois de l’entente avec CMQ pour établir les conditions qui sont acceptables pour nous. Par exemple, nous exigeons la présence de deux personnes à bord des convois, sauf lorsque le train est stationné sur une voie d’évitement.
Nous convenons avec CMQ que les trains rouleront à 16 kilomètres/heure maximum (10 milles à l’heure) dans un rayon de 4 kilomètres du centre de la ville.
Nous demandons aussi de stationner les trains à plus de 4 kilomètres du centre de la ville et jamais dans une pente, à moins que le train soit immobilisé sur une voie d’évitement équipée de dérailleurs actifs. En cas de problème, les dérailleurs sortent le train de la voie plutôt que de lui permettre de reprendre sa route.
L’entente comporte aussi une clause sur les wagons DOT-111 qui sont permis pour encore quelques années au Canada. Si CMQ en utilise, nous demandons qu’ils soient détournés vers d’autres routes que celle traversant Lac-Mégantic.
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Je veux enfin partager le quatrième point de la position de la Ville.
Le voici :
La population méganticoise et les élus souhaitent que le transport des matières dangereuses ne se fasse plus en passant par le centre-ville de Lac-Mégantic.
Dans l’entente, avant même d’aborder toute clause qui touche le fonctionnement du service ferroviaire, nous avons tenu à préciser ceci :
« La présente entente ne saurait en aucun temps être interprétée comme une quelconque forme de cautionnement de la population méganticoise au retour du transport des matières dangereuses sur les voies ferrées du centre-ville. »
En même temps, nous savons que la viabilité des activités ferroviaires dépend du niveau de service que l’exploitant pourra offrir. Pour maintenir ses activités, il voudra élargir progressivement son offre de services.
Dans l’entente, ce que nous faisons, c’est d’encadrer une reprise éventuelle des activités régulières, si cela doit se produire.
Chose certaine, dans l’état actuel de la voie ferrée, le retour du service ferroviaire complet n’est pas possible. Avant d’y arriver, CMQ devra réaliser des investissements considérables dans la mise à niveau des installations.
Nous convenons dans l’entente qu’il ne peut y avoir de transport de pétrole brut avant 2016. Cela ne veut pas dire que le pétrole sera de retour en 2016. Nous ne le savons pas et le transporteur ne le sait pas non plus à ce moment-ci.
Nous croyons sincèrement que d’ici là, le projet de voie de contournement aura beaucoup évolué.
Il est impossible que la voie de contournement soit construite pour 2016, mais il est possible et je dirais essentiel que la décision de la construire ait été prise. Peut-être même que des travaux auront pu être entrepris, à ce moment-là.
La Ville de Lac-Mégantic continuera de faire tous les efforts pour arriver à cette solution. C’est la seule, à notre avis, qui nous permettra de rencontrer tous les objectifs qui font partie de la position que j’ai partagée avec vous.
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Je vous parlais au tout début de l’équilibre à trouver entre les émotions et la raison.
Nous avons la certitude que l’entente avec CMQ arrive à le faire. Elle prend en compte le consensus qui s’est établi dans la population, tout en assurant un service ferroviaire de qualité et sécuritaire à Lac-Mégantic.
Notre ville s’est développée grâce au train. Des centaines d’emplois dépendant du service ferroviaire, qui permet à plusieurs entreprises de s’approvisionner et d’expédier leur production partout au Canada et aux États-Unis.
Affirmer ceci n’est pas un constat purement économique strictement basé sur l’argent et le profit. L’économie n’évolue pas dans une boite fermée, coupée des autres besoins dans la société.
Le maintien de l’activité économique, c’est le maintien et la croissance des emplois chez nous.
C’est ce qui permet de retenir et d’attirer des familles et des individus à Lac-Mégantic et dans la région.
C’est ce qui permet de maintenir des services et des commerces.
C’est ce qui permet d’assurer la vitalité de la communauté, ce qui permet d’avoir des jeunes dans les classes de nos écoles, dont les parents sont en mesure de gagner leur vie.
Les composantes sociales et économiques s’entremêlent et se nourrissent l’une et l’autre. Cela fait partie du nécessaire équilibre dans une communauté.
Merci d’en prendre compte dans votre évaluation du dossier ferroviaire, et surtout, merci de votre attention.
Lac-Mégantic,
jeudi 29 mai 2014